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Entretien avec Lucile Chenais

Passionnée par le Japon, Lucile Chenais est étudiante à l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI). Du 21 août 2022 au 19 février 2023, elle était au Japon pour se perfectionner, auprès d’artisans japonais, dans les techniques de l’urushi (la laque japonaise).

Pouvez-vous présenter en quelques lignes ?

Mon projet est d’apprendre la laque végétale ( urushi ) au Japon, et découvrir différentes techniques, façons de l’employer, en effectuant des stages chez plusieurs laqueurs.

La laque est la sève du Toxicodendron Vernicifluum. Depuis 8000 ans, elle est utilisée, au Japon, comme vernis, pour protéger la vaisselle des attaques des insectes, mieux conserver les aliments, étendre la durée de vie des objets en bois et les réparer. La laque urushi a été utilisée sur la terre crue avant l’utilisation des émaux, ainsi que sur le bois, le tissu et le papier. La laque permet de réparer d’anciens objets en laque, ce qui leur garantit une très bonne longévité. Elle permet, également, de réparer d’autres objets comme, par exemple, la céramique ou le verre, avec la technique de Kintsugi, une colle de riz et de laque. La laque nécessite l’application de plusieurs couches, que l’on ne peut entièrement distinguer à l’œil, mais qui lui donne une esthétique unique par ses multiples reflets.

Comment avez-vous découvert la laque ?

J’ai découvert la laque en lisant Eloge de l’ombre de Tanizaki Jun’ichiro, notamment avec cette description 「Pour moi, quand je tiens un bol de bouillon [laqué], il n’est rien de plus agréable que la sensation de pesanteur liquide, de vivante tiédeur qu’éprouve ma paume.」. En effet, la laque, au delà de ses propriétés de conservation, confère une dimension sensorielle particulière aux objets. Bien qu’appliquée en fines couches, celle-ci apporte solidité, et permet de créer des objets très légers ayant un rapport spécial avec le contenu. L’usager va mieux sentir et localiser les sources de chaleur et les masses de ce qu’il mange, notamment, 「la pesanteur liquide」 lorsqu’il tient dans sa main un contenant en laque. Ce sont ses propriétés esthétiques, sensorielles, sa capacité à conserver les objets et son origine simple et naturelle qui m’ont donnés envie de mieux connaître, puis, d’apprendre cet artisanat.

Pourquoi avoir choisi de développer vos compétences sur la laque japonaise ?

En études de design, nous sommes formés à penser des projets, trouver des solutions formelles et les réaliser avec des connaissances sur les matériaux, les techniques, très souvent théoriques. J’ai pu, à l’école, découvrir l’usinage d’objets en bois tourné. Sans même avoir acquis une véritable maîtrise, c’est cette pratique du bois qui m’a donnée envie de travailler plus directement avec la matière. J’ai d’abord perçue la laque comme un vernis naturel pour protéger le bois, avec toutes ses qualités et propriétés singulières. Puis, j’ai découvert que le panel de possibilité d’application de la laque était bien plus large. Les supports pour la laque sont innombrables. Le tissu ou le papier permettent plus de liberté formelles qu’un support en bois. J’ai choisi de développer mes connaissances et compétences sur la laque, par fascination pour cette matière et cet artisanat.

Pourquoi aller au Japon était-il si important pour votre apprentissage de la technique de la laque ?

La laque végétale est un artisanat très localisé, en Asie, où le climat, l’humidité, permettent à l’arbre à laque de pousser. L’histoire et le développement de ce savoir-faire sont donc originaires de certains pays d’Asie. Le Japon est un des rares pays où l’on trouve toujours des écoles qui enseignent la laque, ainsi que des artisans. Je préfère aussi l’esthétique des laques japonaises, le travail de la forme est plus élaboré, notamment avec la technique de 「laque sèche」 ( kanshitsu ) ou laque sur tissu. En Occident, des artisans pratiquent aussi la laque végétale mais ils sont évidemment bien plus rares, et se forment où se sont formés au Japon.

Qu’attendez-vous de vos stages ?

Je voulais acquérir des techniques et des notions, qui me permettraient, à mon retour en France, de continuer à pratiquer, à apprendre, en autonomie. J’ai choisi de rencontrer différents artisans pour découvrir des techniques singulières : un travail très fin et rigoureux en maki-e, chez Yasuhiro Asai ( le maki-e est une technique de dessin, d’ornementation par la laque, l’or, l’argent, ou les coquillages), des techniques mêlant la laque et d’autres savoir-faire, comme avec le bambou rantai, dans l’atelier de takezaiku ( vannerie de bambou) d’Hajime Nakatomi, des expérimentations avec la laque, plus conceptuelles et innovantes, chez Ryuji Onari et, enfin, des techniques qui renouent avec le travail du tour à bois chez Eiko Tanaka, laqueuse et tourneuse héritière d’une technique locale Yamanaka Shikki.

Pour conclure, vos impressions sur le Japon ?

Le Japon est un pays de sensations. Il y a quelque chose de très précieux dans la lumière, qui donne aux couleurs et aux paysages une matérialité toute particulière. J’ai souvent eu l’impression de sentir l’air autour de moi, quelque chose auquel je n’avais jamais fait attention devenait tangible. Le climat du Japon est très différent de celui de la France, il est donc normal de sentir l’espace autrement. Cette différence influe sur la façon de penser et de vivre des Japonais, qui chérissent et célèbrent l’instant et les saisons. Cela se retrouve dans les différents arts et artisanats japonais, qui révèlent et valorisent l’instant et le temps dans leurs productions. La temporalité est particulière surtout dans le travail de la laque, où une pièce, même petite, prend jusqu’à plusieurs mois pour être réalisée. Les couches successives nécessitent aussi des temps de séchages, pauses imposées dans la journée, qui cadencent le travail. Le Japon est un pays étroit mais très étendu, son relief unique fait que, peu importe où l’on se trouve, la mer, la forêt et les récifs montagneux formés par les volcans, ne sont jamais loin. Dès que l’on quitte la ville, une nature dense nous enveloppe. Avec le Shintoïsme et le Bouddhisme, certains éléments de la nature prennent une dimension spirituelle et donnent une nouvelle lecture au paysage. Les nombreux pèlerinages ou ascensions, du Fushimi Inari Taisha à Kyôto ou encore le Konpira-san dans la préfecture de Kagawa, incitent à marcher et valorisent la beauté des paysages japonais. Je pense que le temps passé au Japon m’a appris à mieux sentir les changements dans mon environnement et à y accorder plus d’importance.

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