Julien Guinand est né en 1975 à Lyon et a fait des études de lettres, de musique et d’arts plastiques. Diplômé de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, il intervient à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Résident à la Villa Kujoyama à Kyôto en 2017 et lauréat d’une commande nationale du Centre National des Arts Plastiques (CNAP) il a bénéficié du soutien de la Fondation des artistes sur le projet au long cour qu’il mène au Japon. Son travail photographique, documentaire et expérimental, porte essentiellement sur le territoire, dans des lieux où se joue une histoire sociale et environnementale.
Notre soutien porte sur l’édition de son livre Two mountains.
Pouvez-vous nous présenter votre travail photographique en général ?
Nourri d’histoire de la peinture durant mes études, je me suis tourné vers une photographie qui fait la part belle à la composition, à la lumière et à la surface de représentation.
Dans mes travaux, je fais se croiser biographie personnelle et enquête documentaire, tradition picturale et littérature anthropologique.
Très tôt intéressé par la nature et le genre paysage, je me suis progressivement spécialisé dans la photographie de territoire. Je mène donc des enquêtes sur la territorialité, entre passé et présent, le plus souvent dans des lieux où se joue une histoire sociale et environnementale. Mes thèmes de prédilection sont la catastrophe et l’effondrement, la subsomption de la nature.
Pourquoi avoir choisi le Japon pour ce travail particulier ?
J’ai un intérêt ancien pour le Japon : je me suis intéressé à la littérature et à la photographie japonaise il y a de nombreuses années. Je m’intéresse également au zen, autant à la philosophie du zen qu’à sa pratique.
En 2015, j’ai décidé de faire un premier voyage au Japon. En arrivant dans les montagnes japonaises, j’ai fait le double constat suivant : la beauté de certains paysages, tels que nous les connaissons au travers de l’imagerie commune, côtoie également la réification, le bétonnage. J’ai essayé de comprendre les raisons de cette fabrique et de cette destruction du paysage, de remonter aux causes. J’ai voulu faire une sorte d’étude de cas dans deux montagnes japonaises en ayant conscience que ces deux cas particuliers sont également des symptômes de la crise globale que nous traversons, de l’anthropocène. Cet aspect m’a été confirmé lors de la réalisation du livre, et notamment suite aux prises de paroles du philosophe Hidetaka Ishida dans l’entretien de fin d’ouvrage.
Pourquoi avoir choisi les monts Kii et Ashio ?
Une première photographie datant de 2015 représentait une structure de béton de grande ampleur apposée sur une colline. Cette première image, je l’avais réalisée dans la péninsule de Kii alors que j’y faisais du tourisme. Elle m’a dicté la marche à suivre pour la suite ; en 2017, de retour pour 3 mois de résidence à la Villa Kujoyama au Japon, j’ai repris mon travail dans cette même péninsule. J’ai compris durant ce deuxième séjour que le bétonnage des montagnes répondait au problème des glissements de terrains, très fréquents dans la péninsule, ces mêmes glissements de terrains étant occasionnés par la sylviculture intensive (ou du moins la monoculture forestière), additionnée aux pluies diluviennes de la crise climatique. Mon enquête m’a mené ensuite à Ashio qui est également un paysage abîmé, par une ancienne pollution cette fois.
Comment avez-vous connu Minakata Kumagusu et Shozo Tanaka ?
À Ashio, je suis allé faire mes recherches sur l’histoire de la pollution des mines de cuivre, ayant en tête la lutte qu’y avait mené le politicien et écologiste de l’ère Meiji, Shozo Tanaka. C’est l’historien d’art Jean-François Chevrier qui m’avait parlé de cette histoire alors qu’il me rendait visite au Japon. J’ai donc associé au travail photographique sur le terrain à Ashio, la biographie et l’histoire que constitue cette lutte menée par Shozo Tanaka. Et j’ai appris à ma grande surprise que dans les monts Kii, un pionnier de l’écologie avait également œuvré et lutté à peu près à la même période, Minakata Kumagusu. Je suis donc retourné dans les monts Kii pour recueillir des paroles, des documents et à nouveau des images en lien avec ce personnage emblématique.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Je dirais que la barrière de la langue (je ne parle pas le japonais) a constitué une vraie difficulté. Il m’a fallu travailler avec des interprètes et communiquer avec les gens sur place comme je pouvais.
La suite ?
J’envisage de retourner au Japon pour prolonger ce travail. Beaucoup d’aspects bien entendu n’ont pas été abordés. J’aimerais rencontrer un activiste des forêts, un personnage très particulier dont m’a parlé le physicien Jean-Christophe Valmalette qui a collaboré de manière active au premier projet. La question des Burakumin m’intéresse également. J’ai pris conscience de cette réalité sociologique en me rendant à Kii, car cette communauté est importante dans la péninsule.