Comment s’est passée votre séjour à Kyôto ?
Très bien, mais ce n’était pas facile. D’un point de vue professionnel c’était excellent. D’un point de vue humain, c’était dur. Pour la première fois, l’atelier recevait un étranger pour lui transmettre son enseignement, je n’avais aucune base en Yuzen, mon niveau de japonais était moyen…
J’ai reçu l’enseignement du fils du maître de l’atelier, Shuya Takahashi. Je lui posais beaucoup de questions car mon idée, c’était de pouvoir continuer en France. Je voulais pouvoir tout refaire par moi-même, et donc tout connaitre. Par exemple, la recette de la pâte de riz, qu’ils ne font plus depuis des années. Nous avons cherché dans des manuels, passé des journées dans la cuisine pour que je puisse la refaire. Nous nous sommes également aperçu que certains produits, chimiques et toxiques, ne pourraient pas être envoyés par la poste. Il a fallu retrouver les recettes ancestrales, sans produit chimique, et les adapter en fonction des produits que nous pouvions trouver.
Tout cela nous a pris beaucoup de temps. Mon maître, Shuya bien que très occupé, s’est prêté au jeu. J’ai toutes les recettes, des cahiers entiers remplis de procédures : je n’ai plus qu’à m’y mettre !
Concernant la technique du Yuzen, il m’a d’abord fait recopier sur soie, un kimono de Maïko, avec des fleurs de cerisiers, qu’il avait réalisé quelques années avant. Au bout d’une dizaine de jours, la difficulté, sur certaines parties m’est parue telle, que j’ai pensé qu’il me faudrait au moins une dizaine d’années de pratique pour espérer y arriver. J’ai commencé à douter, à me demander ce que je faisais là… pourquoi vouloir apprendre cette technique… Pour mon maître, il était inconcevable que j’apprenne le Yuzen en deux mois. La transmission se fait de père en fis depuis des siècles. Les filles de la famille se marient et partent de la maison. C’est un environnement très particulier, codifié, où il faut faire attention à tout, où tout ce que l’on fait est millimétré.
« ...la difficulté, sur certaines parties m’est parue telle, que j’ai pensé qu’il me faudrait au moins une dizaine d’années de pratique pour espérer y arriver. J’ai commencé à douter, à me demander ce que je faisais là… »
Un jour, Shuya m’a emmené dans une salle vide de la maison avec tatamis, un kimono de grande valeur, et deux kakemono (kakejiku en japonais), le tout réalisé par ses ancêtres. Les deux rouleaux suspendus au mur donnaient l’impression d’être peints à l’encre de Chine ; les dégradés de noirs étaient somptueux. J’ai été très intéressée, car ces œuvres étaient proche de la technique que je pratique. En réalité, c’était du Yuzen. J’ai alors compris que c’est cela que j’étais venue apprendre, et non le recopiage de motifs. Mon maître a du le sentir, car quelques jours plus tard, il a sorti une bande de soie du placard, l’a déroulée, et m’a dit qu’il s’agissait d’un test non abouti. C’était un paysage, réalisé en yusen mais de style nuregaki, pratiquée par ses ancêtres, mais que personne n’utilise plus aujourd’hui. Je lui ai alors expliqué que c’était cela que je voulais qu’il m’enseigne. Cette technique nécessite de savoir peindre à l’encre de chine. Il a accepté, mais m’a dit de me débrouiller car il ne savait pas comment l’enseigner.
Je me suis donc mise à réfléchir à une peinture. Le temple d’Eikando à Kyoto, visité sous la neige quelques jours auparavant m’a inspiré. J’ai d’abord peint à l’encre de chine sur papier, puis ai réalisé une planche de couleurs. Mon maître ne comprenait pas ce que je faisais, cela sortait de sa manière de procéder habituelle. Pour moi, c’était clair. Je me suis lancée. Jours après jours, pendant un mois, j’ai passé des couches de couleurs, lavé la soie, passé la colle d’algue, cuit la soie, et repassé des couches de couleurs... M. Takahashi père passait de temps à autre, et regardait furtivement. Un jour, il s’est arrêté, et a dit quelque chose en japonais qui disait à peu près, qu’il était vraiment étonné du résultat. Quelques temps plus tard, fin février, ma galeriste Kayoko Hayasaki est venue me rendre visite à l’atelier. Monsieur Takahashi est allé chercher mon travail, qu’on avait mis à sécher la veille, lui a montré et, lui a dit, que c’était « intéressant », « pour une première fois ». Venant d’un japonais de Kyôto formé à l’excellence depuis la naissance, j’ai pris ça pour un encouragement. Le résultat final est un peu pâle, car je ne savais pas qu’au dernier lavage, la couleur partait autant. C’était une première, il y a beaucoup de chose à apprendre. Il y a, je pense, un bon potentiel d’évolution. Cet enseignement est unique. J’ai eu de la chance de pouvoir apprendre et je pense qu’ils étaient contents également même si ce n’était évident, ni pour eux ni pour moi.
En tant qu’étrangère, vous avez posé un autre regard sur leur pratique, forcément enrichissant pour eux.
Juste avant mon retour en France, l’atelier réalisait un nouveau kimono. Je me suis fait la remarque qu’il était différent des autres. Le sujet basé sur un conte représentait un bateau en forme de dragon, une femme masquée, beaucoup de nuages. Il y avait quelque chose de mystérieux et envoutant où tout n’était pas dit. Le paysage de nuages ressemblait beaucoup à ce que j’avais fait. Peut-être que mon travail avait réactivé un lien avec les créations des ancêtres que M. Takahashi père s’était réapproprié.
Vous étiez vraiment au cœur du Japon traditionnel...
Lorsque ma galeriste est venue, elle a dit « France, c’est le Japon d’il y a 300 ans ». Il n’y avait pas de chauffage, les gens travaillaient par terre, assis toute la journée sur le parquet, il faisait froid.
Et puis, tous les rituels de la vie quotidienne… plusieurs fois des bonzes sont venus faire des cérémonies. Je ne sais pas si c’était des jours spéciaux…J’ai eu la chance pour mon premier jour de participer à la fête de nouvelle année de l’entreprise.
Avez-vous pu rencontrer d’autres artisans ?
Grâce à mon maître Shuya, j’ai rencontré d’autres teinturiers. Une semaine après mon arrivée, nous sommes allés faire un stage d’une journée chez M. Yoshioka, le plus grand teinturier végétal du japon, reconnu dans le monde entier, en banlieue de Kyôto. C’est sa fille qui nous a reçus dans une ambiance très conviviale. J’ai eu l’impression de me retrouver chez mes grands-parents, avec le jardin, les fruits à cueillir pour faire de la teinture, la simplicité…
Pourquoi vos grands-parents ?
Mes grands-parents étaient des paysans, en Savoie. Il y avait cette habitude de vivre dehors en été, préparé les bocaux, les confitures… Ensuite, j’ai rencontré Mme Adashi, tisserande de kimono en soie naturelle et professeur à l’université des arts de Kyôto. Nous sommes devenus amies. Puis, j’ai rencontré M. Fukumura, teinturier utilisant une technique plus ancienne que le Yuzen, appelée Tsujigahana. Technique magnifique à où l’on fait de petits nœuds pour réserver les parties non teintées. C’est encore plus long et difficile que le yusen, mais alors, le résultat est somptueux. J’ai fait un stage d’initiation avec M. Fukumura et son fils Takeshi qui est aussi professeur à l’école des arts de Kyôto. Tous ces teinturiers se connaissent depuis longtemps. Les enfants des maîtres ont tous le même âge. Nous avions tous le même âge. Les pères ont 70 ans, et sont en pleine forme…
L’avenir maintenant ?
Et bien dès que tout mon matériel arrivera du Japon, je commencerai le yuzen, ici à Paris, en vue de préparer l’exposition de 2015 à la galerie Hayasaki. Cette année de pratique va me permettre de m’approprier la technique.
Que vous a apporté ce stage ?
Je dirais que c’est un apprentissage initiatique qui va grandement influencer ma manière de peindre dans les années à venir. C’est un cap incontournable. J’espère sincèrement que les relations tissées à Kyôto avec les teinturiers perdureront et ouvriront de nouvelles perspectives.
« Cet enseignement est unique. J’ai eu de la chance de pouvoir apprendre et je pense qu’ils étaient contents également même si ce n’était évident, ni pour eux ni pour moi. »
Et pour finir, notre question rituelle : la fondation en un mot ?
Et bien Merci la fondation parce que sans la fondation pas de voyage au Japon, pas d’apprentissage chez M. Takahashi. Même si j’avais eu l’argent, il n’est pas évident qu’il m’aurait pris comme stagiaire. M. Takahashi était très fier de dire que je venais grâce Fondation franco-japonaise Sasakawa. Donc sans vous, ça ne se serait pas fait .
Merci…
C’est la réalité, heureusement que des fondations comme celle là existent encore.